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La cryptomonnaie, pourquoi un tel engouement ?
Décembre 2017. Le bitcoin s’envole vers $18 000. Les étudiants ne parlent que de ça. Les magazines et les reportages TV se multiplient, des vedettes de téléréalité recommandent ce placement judicieux. Je fais part de mes réserves sans convaincre. Dommage l’expression « OK Boomer !» n’existe pas encore. Mars 2021, bis repetita, bulle repetita !
Revenons au 17 décembre 2017. C’est à ce moment précis que le Chicago Mercantile Exchange inaugure la cotation à terme de la plus célèbre des crypto-currencies, le Bitcoin. Surprise, immédiatement, les cours s’effondrent ! En effet, la communauté des acheteurs découvre que le CME, « qui affiche la meilleure prévision rationnelle pour des échéances variant entre un et six mois » ne prévoit pas de nouvelle hausse. A partir de ce moment, les achats se réduisent, les ventes se multiplient, les cours baissent, générant de nouvelles ventes, et de nouvelles baisses. Un mois plus tard, on touchait un plus bas à moins de $10 000. Aujourd’hui personne n’ignore qu’on flirte avec les $60 000, cours qui devrait rester stable jusqu’en juillet prochain, selon le CME. Alors, de nouveau, la crypto-parade recommence…
Prenons un peu de recul pour juger de l’opportunité de participer à cette loterie où tous les tickets semblent gagnants :
Le bitcoin est-il un actif financier ?
Une cryptomonnaie est une monnaie de transaction, et non un actif financier qui délivre un rendement. Pas de dividende ni de coupon, encore moins une participation à un projet d’investissement. A l’image de l’or, « relique barbare » selon JM Keynes, ce ne peut être qu’un véhicule de placement temporaire, « refuge », entre deux investissements classiques. Sur le long terme, la finance nous enseigne de préférer investir dans les mines d’or, plutôt que dans des lingots. Dans le contexte actuel, parmi les investisseurs qui privilégient le BTC, certains jugent que les politiques monétaires sont trop expansionnistes. Ils craignent que les fortes progressions des dettes publiques, financées par les banques centrales, ne finissent par entamer le pouvoir d’achat des monnaies classiques. C’est un vrai problème pour les banques centrales qui voient dans les cryptomonnaies, un intrus en mesure de contester l’impact de leurs politiques monétaires et réduire la nécessaire confiance dans la monnaie. Une version 2.0 de l’adage de Gresham: « la mauvaise monnaie chasse la bonne ». En réaction, la BCE va lancer cette année un euro-numérique, sa cryptomonnaie.
Quel est le fondement de la valeur d’un bitcoin ?
Sa valeur repose uniquement sur les conditions d’équilibre entre offre et demande. La quantité maximale de BTC a été fixée en 2008 à 21 millions par son créateur, Satoshi Nakamato. Depuis 13 ans, La quantité de BTC a progressé à mesure que des « mineurs » décodent des blocs, ce qui leur procure un revenu. A ce jour, il existe déjà 19 millions de BTC. 1000 BTC sont créés chaque jour. Le principal facteur de fluctuation du cours du BTC repose sur la demande. Régulièrement, l’engouement collectif des acheteurs, confrontés par ailleurs à des taux de rentabilité historiquement faibles, génère des bulles spéculatives. Les rumeurs de code craqué, de hack, ou de vol de BTC, « nettoient » régulièrement la liste, et les comptes, des apprentis traders.
Quel est le coût d’une transaction en bitcoin ?
C’est un paradoxe. Plus l’engouement pour les cryptomonnaies augmente, plus l’engorgement fait augmenter le coût de la transaction. Actuellement de l’ordre de $20, ce coût a connu des pics à $50, soit plus que le coût d’un virement swift (cf. BitInfoCharts). Il faut aussi rémunérer l’activité de « minage » créatrice de nouveaux BTC qui requiert des serveurs informatiques puissants, … qu’il faut aussi refroidir. L’indice Cambridge bitcoin electricity consumption (CBECI) https://cbeci.org/ estime que la consommation induite par le BTC est équivalente à celle de la Norvège. La monnaie virtuelle laisse une empreinte écologique qui ne peut laisser indifférent. Beaucoup de minages s’effectuent en Iran, là où l’électricité est bon marché, produite par des centrales à fuel pour un pétrole que l’Iran peine à exporter. On trouve aussi des mineurs en Islande, là où le refroidissement est gratuit … pour des entreprises européennes, en l'absence de contrôle des changes, assurer des transactions en BTC ne semble pas justifié, ni au regard des frais, ni au vu des délais de confirmation d’une opération.
Le bitcoin est-il sécurisé ?
Les banques centrales rappellent qu’en cas de fraude, de vol, d’oubli de code d’accès (!), aucun recours n’est possible. C’est assez logique. On peut aussi s’interroger sur l’opportunité morale de mélanger sa trésorerie avec tout ce que la planète compte d’argent sale, y compris de la part de certains Etats qui trouvent là un moyen opportun de financer des opérations occultes, ou bien de nuire à leurs ennemis. Sans faire d’angélisme, il faut garder en tête que les stratégies de la pègre, des Etats-voyous n’ont rien de commun avec un investisseur rationnel, à la recherche d’une performance optimale en termes de « rendement/risque ».
En tant qu’enseignant-chercheur, j’ai toujours privilégié le rôle de contrarian : aller à l’encontre de la croyance collective pour s’affranchir du consensus ambiant et proposer un autre éclairage. C’est aussi un rôle que j’affectionne au sein d’institutions financières qui m’en font la demande.
Si on peut rester dubitatif face à l’engouement cyclique que génèrent les cryptomonnaies, il reste que la technologie des « blockchains » est une avancée indéniable qui connaîtra beaucoup de développements prometteurs, pas seulement dans le domaine monétaire. C’est par exemple un moyen de se protéger contre les faux diplômes qui circulent actuellement…. En tous cas, pas question de négliger les cryptomonnaies, quand la valeur globale des bitcoin dépasse les 1000 milliards de dollars, soit la moitié de la valeur d’Apple. Mais le temps n’est pas encore venu où sur nos claviers d’ordinateurs, le raccourci clavier « B » donnera Bitcoin.
Pierre Gruson
Professeur de Finance
Kedge Business School
Bordeaux, le 18 mars 2021
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